Comment a-t-il pu faire une chose pareille ? Nous étions si heureux, tout marchait à merveille Ce n’était pas Byzance mais nous ne manquions de rien J’étais tendre et dévouée, mieux qu’un ange gardien ! Un ange gardien Il aimait m’offrir des fleurs, de bien trop jolis bouquets Alors, à contrecœur, j’ai pris en main le budget On a payé la maison, on a tout remboursé À la sueur de nos fronts on y est arrivés En quinze ans de mariage il n’a jamais mangé Une moindre bouchée qui nuise à sa santé J’ lui ai appris à boire à petites gorgées Jamais rien de plus fort que deux ou trois degrés Et j’ai toujours veillé à c’ qu’il soit bien couvert Et même en plein été l’avait son pull over Il rentrait du bureau, il mettait ses chaussons Il se lavait les mains m’embrassait sur le front Comment a t-il pu faire une chose pareille ? Nous n’avions pas d’enfants, j’étais trop délicate Pas de maternité, le docteur l’avait dit Mais j’avais mon bébé, mon petit coq en pâte Oui, j’avais tout mon temps pour mon petit mari Il ne sortait jamais mais une fois par an J’invitais ses anciens copains de régiment Et toute la soirée il leur parlait de moi Ça puait le tabac mais patience, ma foi ! J’ mettais sur le tapis des bouts d’ linoleum Où ils posaient leurs pieds encore chargés de boue Ah, j'y ai mis le prix pour plaire à mon bonhomme Moi qui suis pour la propreté avant tout Comment a-t-il pu faire une chose pareille ! Nous faisions chambre à part, mais je peux l’avouer Parfois je ne fermais pas ma porte à clef Car, bien sûr, les maris ont tout d’ même certains droits Mais il était trop poli pour abuser de moi Alors quand, l’autre soir, il murmura "Bonne nuit" Sans me dire "Ma chérie", comme j’ lui avais appris J'ai pensé qu’il avait des problèmes au bureau Et que tout irait mieux après un bon repos J’ai entendu des gouttes, j’ai cru qu’ c’était la pluie Hélas, c’était son sang, coulant sur le tapis Un beau tapis tout neuf, qu’il aurait pu sauver S’il avait pris la peine de mieux s’organiser De remonter son bras sur le linoléum Mais c’est fou c’ qu’il était négligent, mon bonhomme !